Le coryza : Une maladie qui n’existe pas (1)
Le coryza : Une maladie qui n’existe pas.
Bonjour à tous, aujourd’hui, c’est volontairement que j’ai entamé cet article par un titre accrocheur qui j’en suis sûr n’a pas manqué de vous faire froncer les sourcils.
Rassurez-vous, je vais donc bien sûr justifier ce titre tout au long de cet article.
Mais pour commencer, une question : Qui n’a pas déjà, vu, lu, entendu, ou même prononcé ces mots : « Mes pigeons ont du coryza. Ou encore mes pigeons ont du coryza sec, coryza humide, la maladie de la grosse tête, ou bien d’autres expressions de ce genre encore ? » Toutes des affirmations bien connues de chacun d’entre vous, et bien pourtant je vous l’annonce haut et fort, tous ces termes ne veulent strictement rien dire d’un point de vue médical. De la même façon que l’on me pose parfois la question : « Docteur, comment fait-on pour traiter du coryza sec ? » Et bien la seule et bonne réponse à cette question est… qu’il n’y a pas de réponse car c’est une très mauvaise question…
Essayons d’y voir un peu plus clair…
Que signifie le terme « Coryza » ? Et bien en fait, ce terme est parfois utilisé pour caractériser un « symptôme » que nos pigeons présentent. Exemple : Mes pigeons volent 3 minutes et puis se posent sur le toit avec le bec ouvert. Autre exemple, certains de mes pigeons ont un ou deux yeux qui coulent. Ou encore, j’entends éternuer dans mon pigeonnier, ils ont le nez sale,… Parfois même plusieurs de ces symptômes apparaissent en même temps, cet ensemble de symptômes devient donc un « syndrome » (qui signifie donc ensemble de symptômes).
Si je résume donc tout ceci, le terme coryza (sec, humide, …) est soit un symptôme, soit un syndrome qui caractérise au sens large un « problème d’ordre respiratoire chez le pigeon ». Mais donc vous l’aurez compris en aucun cas une maladie au sens strict du terme. En fait l’origine de cette appellation est historique, et remonte à très longtemps. Elle est due au fait que les premiers scientifiques qui ont étudié la santé des pigeons ont remarqué tous ces problèmes mais ils ne connaissaient à l’époque pas encore « l’étiologie » (les causes) de ces problèmes. Ils ont donc appelé ces symptômes « coryza ». Et puis au fil du temps, malgré les avancées de la médecine, ce terme populaire est resté. Heureusement pour nous, depuis ces temps lointains, la médecine vétérinaire a fait des progrès. Et on est maintenant parvenu à identifier les « causes », les « agents responsables » de ces symptômes. Et donc on a pu attribuer des noms plus précis, et donc des noms réels de maladie. Vous en connaissez d’ailleurs quelques-unes également. Si je vous dit « ornithose » je suis sûr que cela vous parle, si je vous dis « herpesvirose », je suis sûr que cela signifie quelque chose à certains d’entre vous aussi. Et oui, ces 2 maladies pourraient donc être englobées dans le terme général coryza car ils peuvent créer les symptômes cités plus haut.
Mettons-nous maintenant à la place du vétérinaire (cela tombe bien j’en suis un ☺ ) et bien, que l’on ait à faire à un coryza dû à de l’herpesvirose, ou à un coryza dû à de l’ornithose, et bien les traitements sont radicalement opposés. En effet un des deux est un virus, et l’autre une chlamydia. Et pourtant les signes que vous remarquerez chez vos pigeons peuvent être tout à fait identiques. Ils pourraient également être identiques si vos pigeons souffrent d’un coryza à mycoplasme, ou encore d’un coryza bactérien (staphylocoque, E coli,…), mais ils pourraient aussi être dus à un coryza environnemental (dû à une aération défaillante par exemple).
Et voilà, à chaque fois, notre pigeon a donc un coryza, mais à chaque fois le traitement efficace sera différent. Il est important de noter qu’un traitement mal ciblé ne servira donc à rien, et peut même dans certaines circonstances faire pire que mieux, en imposant au pigeons le poids d’un traitement médicamenteux inutile. Une autre classification intéressante pour ces problèmes est de localiser le problème, de différentier un problème des voies respiratoires supérieures (nez, gorge, œil), d’un problème inférieur (profond), trachée, bronches, poumons. Et oui, en médecine on vous parle de rhinite, sinusite, bronchite, pneumonie,… et non pas de coryza…
J’espère donc qu’après la lecture de cet article, là où vous parliez avant de coryza, ou encore de coryza sec, vous parlerez maintenant de coryza viral, bactérien, coryza des voies respiratoires supérieures, ou des voies respiratoires inférieures, ou encore même mieux vous n’utiliserez plus le terme coryza tout court, et parlerez d’ornithose, d’herpesvirus, de rhinites, de conjonctivites,…
Mais revenons maintenant à notre question initiale : « Docteur, que puis-je faire pour traiter un coryza sec ? »
Et bien vous avez donc maintenant vous-même la réponse : « Et bien, la question posée comme cela : « rien », car votre question est une mauvaise question ».
Vous me direz (et non sans avoir un peu raison) que concrètement… c’est bien beau de « jouer sur les mots » mais qu’au final, tout ceci n’a pas aidé à régler notre problème de pigeons qui volent 3 minutes et puis qui se posent le bec ouvert, notre problème de « nez sale », ou encore notre problème de mauvaises performances. C’est vrai. Mais toute cette mise au point est importante pour comprendre la suite et donc justement que le choix du traitement ne se fera pas sur base des symptômes, mais bien des causes de ces symptômes. Car vous l’avez donc compris maintenant, ces symptômes de « coryza sec » (voilà, c’était la dernière fois que je prononçais ce mot dans mes articles) seront la conséquence de la cause de ces symptômes qui peut être très différentes pour des symptômes totalement similaires. Et comme si tout ceci n’était pas assez compliqué, en pratique… très souvent… on n’a pas UNE cause, mais une somme de PLUSIEURS causes concomitantes. Et donc il n’y aura pas UN traitement, mais DES traitements. Attention je parle de « traitement »… à ne pas confondre avec le terme « médicament », ce sont encore une fois 2 termes très différents.
Mais pourquoi PLUSIEURS causes ? Prenons un exemple chez l’homme d’abord. On installe la climatisation (la clim) dans votre bureau au travail, juste au dessus de votre chaise. En plus de l’air frais soufflé directement sur vous, vous êtes soumis à des changements de températures constantes dès que vous sortez de votre bureau. Vous êtes donc dans de mauvaises conditions, et cela vous fragilise, et prédispose au fait qu’un petit virus vienne vous créer une rhinite virale (un rhume) qui vient attaquer vos muqueuses respiratoires et les fragiliser. Et puis vous ne vous soignez pas, et quelques jours après, une bactérie profite des petites brèches créées par le virus pour venir « surinfecter » le tout. Vous allez chez le médecin (car vous êtes maintenant plutôt mal, vous avez de la fièvre, et avez mal au crâne) et il vous diagnostique une sinusite bactérienne et vous prescrit un gros traitement antibiotique et une semaine d’arrêt de travail.
Qui est le responsable ? Et bien si vous avez bien suivi : la climatisation, le virus, et la bactérie, les 3 sont coupables. En effet, si vous ne vous étiez pas mis dans ces mauvaises conditions « sous la clim », vous n’auriez pas attrapé ce petit virus. Si vous aviez à ce moment pris un peu de repos, et stimulé votre immunité, vous n’auriez pas eu cette complication bactérienne, et donc vous n’auriez pas dû prendre ces antibiotiques. Il n’y a donc pas un mais 3 coupables à votre problème, et si vous soignez seulement un des 3, et bien votre problème ne se résoudra pas.
Et bien c’est tout à fait pareil pour les pigeons. Le traitement antibiotique dans la majorité des cas ne servira à rien sur le moyen terme si vous ne luttez pas contre les autres causes. Nous détaillerons plus ce chapitre dans la 2ème partie de cet article mais je terminerai cette première partie en me demandant si certains d’entre vous dans mon petit exemple humain se sont dit : « Ben il suffirait de prendre des antibiotiques 3 jours toutes les 3 semaines » cela vous aurait évité d’attraper une sinusite… ? Je pense que non. Enfin j’espère que non. Et il y a une bonne raison pour cela. Hormis le fait que cela coule de source, que l’on ne prend pas des antibiotiques comme des bonbons, un antibiotique n’empêchera pas d’attraper cette sinusite les 18 autres jours où l’on n’est pas sous antibiotiques (car un antibiotique n’est JAMAIS préventif). Et pire encore, ils auront pour conséquence à long terme d’affaiblir votre immunité, et donc vous attraperez encore plus souvent une rhinite virale contre lesquels les antibiotiques n’auront aucun effet. Et donc vous serez encore moins souvent « en parfaite santé… »
Postposez cela à vos pigeons, cela mérite quelques instants de réflexion sur la justification d’utilisation massive et régulière d’antibiotiques « préventifs » chez vos pigeons.
Dans la seconde partie de cet article, je détaillerai plus en profondeur tous les différents « agents responsables » de ce qu’on appellera donc maintenant plus du « coryza ». Car il faut connaître son ennemi pour le combattre efficacement…